Autant vous le dire tout de suite : oscarisé comme meilleur scénario adapté, The Big Short doit être visionné une cuvette ou un sac à portée de main, à moins que vous ne décidiez par précaution de le regarder depuis vos lieux d’aisance. Non pas que ce film soit mauvais, bien au contraire. D’une rare efficacité quant au propos développé, il va vous faire voir de façon très claire l’étendue du foutage de gueule qu’est devenue l’économie mondiale. Et c’est proprement à vomir.
Casse du siècle et fièvre du fric
C’est donc Adam Mc Kay qui endosse la réalisation de cette bombe sous-titrée avec justesse « Le casse du siècle ». 2h10 d’une image nerveuse où les plans rapprochés se succèdent quand ils ne s’entrechoquent pas, aussi frénétiques que la fièvre de fric qui anime les personnages : quatre clans de traders, des outsiders du système qui anticipent la vérole des subprimes, l’analysent, voient se profiler la catastrophe. Et décident d’en profiter. Pariant sur la crise économique qui se prépare, ils vont se croiser dans une atmosphère angoissante, qui vire à la nausée au fur et à mesure que la caméra accélère le rythme pour suivre leur marathon.
Un film choral à la Altman donc, avec pour finalité de faire comprendre au spectateur l’ineptie profonde d’un marché contaminé jusqu’à la moelle par une logique d’escroquerie banalisée. Le plus dérangeant ? L’aveuglement criminel, la suffisance des banquiers certains de la validité de leurs produits ? Ou cette excitation typique du joueur invétéré qui ne peut s’arrêter ? Les protagonistes qui révèlent le pot aux roses le font dans une indifférence généralisée teintée de moquerie… ils en profitent certes, mais leur malaise est palpable. Égoïstes, ils raflent tout quand des gens se retrouvent à la rue. Ils en ont conscience, n’en sont pas fiers : loi de la survie. Le plus malin gagne.
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La vacuité d’un savoir-faire toxique
Le plus malin, c’est celui qui ne va pas se faire avoir par ce climat de fric facile, qui, derrière le langage technique complexe pour ne pas dire inaudible, décrypte la vacuité d’un prétendu savoir-faire. Le discours des courtiers est tentant, éblouissant … il est mensonge et le réalisateur s’amuse à intercaler entre les différents chapitres de ce récit haletant des spots où des figures célèbres expliquent en termes simples les subtilités économiques. Ainsi, les mystérieux et fascinants CDO sont imagés par des morceaux de poissons vieux de trois jours balancés dans un ragoût, et présentés comme un plat gastronomique. Mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont vieux de trois jours. Avec toutes les conséquences toxiques que cela peut avoir.
Cette volonté de dire les choses telles qu’elles sont culmine quand l’un de ces cyniques clairvoyants gifle verbalement deux boursicoteurs excités par leurs gains en leur rappelant que des dizaines de milliers de personnes sont en train de perdre leur travail, leur maison, leurs économies, leur avenir. Tout simplement leur vie. On touche le fond lors de la convention de la titrisation, véritable sommet de l’actionnariat… qui a lieu à Las Vegas, dans un casino !!! De surprise en surprise, le film donne vite le tournis puis la gerbe : c’est voulu. À la manière d’une séance de rééducation digne d’Orange Mécanique, The Big Short nous enfonce la réalité dans le crâne en percutant le discours idyllique des grands de la finance et la réalité sordide d’un hold-up perpétuel.
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La prise de conscience est d’autant plus consternante que comme il est expliqué en intro, il suffit de regarder autour de soi. Inscrits au casting, Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling et Brad Pitt se chargent par leur jeu musclé de nous hacher menu dans le broyeur émotionnel des grandes tractations dématérialisées. Le spectacle d’une salle de change dévastée en quelques minutes par un licenciement en masse devrait nous finir. C’est sans compter avec les dernières phrases du film, inscrites en blanc sur un fond noir, comme le faire part de décès de notre monde. Et là, pour le coup, vous serez terrorisés.