The White Lotus : la série qui vous fera aimer le camping… ou pas !

The ARTchemists The White Lotus

Ouais, je sais, c’est très con comme titre, mais franchement, c’est ce qui m’est venu à l’esprit en bouclant le binge watching des trois saisons de The White Lotus. Et quel binge watching, mes aïeuls ! Je l’ai dévorée, cette série, les trois saisons en enfilade. L’anti Camping, rien à voir avec Les Flots bleus chers à Onteniente, où on s’aime, on s’engueule, on se réconcilie autour d’un apéro et de bonnes valeurs de partage et d’égalité devant l’adversité. Non, avec The White Lotus, on plonge direct dans une piscine de venin. Un venin doux, perfide, mais d’une redoutable efficacité. La série ne porte pas ce nom par hasard. Un personnage de la première saison fait justement allusion aux Lotophages, ce peuple cité dans l’Odyssée et qui sombre dans l’oubli à force d’ingérer une boisson à base de lotus. Le showrunner Mike White ne faisant jamais rien pour rien, la référence est loin d’être un accident, elle offre même une grille de lecture mordante de cette comédie humaine 5.0. Mordante jusqu’à l’absurdité la plus totale.

Cadre paradisiaque et satire sociale

On connaît l’origine covidienne de la série. En pleine pandémie, HBO sollicite Mike White pour créer une série à tourner dans un lieu confiné. Quoi de mieux qu’un hôtel, où de par le monde s’entassent alors des centaines de touristes mis en quarantaine ? Inspiré par la cocasserie de la chose, White prend sa plus belle plume (la plus acérée du reste) pour accoucher de la première saison de The White Lotus. The White Lotus : un palace de très très grand luxe, à Maui, où débarquent plusieurs clients issus de la jet set américaine. Richissimes, insupportables, paumés. Des gosses mal élevés et capricieux.

Un couple de jeunes mariés qui sont loin d’être en osmose pour leur lune de miel, une famille en pleine déliquescence, une célibataire quinquagénaire, bardée de millions et dépressive. Tout ce petit monde compte bien savourer une semaine de repos dans un cadre paradisiaque. Mais White va faire en sorte que cela tourne au cauchemar, avec en perspective une satire sociale féroce qui décortique les dynamiques de pouvoir et les tensions sociales de ces clients fortunés avec un personnel hôtelier pour le moins exploité.​

Success stories à vomir

Le cadre est posé, le schéma se décline sur les trois saisons avec une régularité de métronome et le plein de péripéties et de frissons. Pas de surprise sur l’issue du séjour ; à chaque fois, on débute par la résultante du désastre : cercueil, cadavres, fusillade. D’emblée, White annonce la couleur, funèbre. Reste à savoir comment le paradis se transforme en enfer. C’est l’objet des épisodes que d’opérer un méticuleux flashback, tissant ainsi la chronique pour le moins corrosive d’un cataclysme annoncé.

Shakespearien n’est-ce pas ? Surtout très balzacien. Ce curieux mélange, cru et sans complexe, est saupoudré de sexe, de stress, d’anxiolytiques, de cocktails et de fruits (observez les assiettes, ces carnassiers sociaux se gavent de fruits à longueur de repas, dans la plus totale ignorance de la gastronomie propre aux restaurants de ces palaces étoilés). Beaucoup de promesses, beaucoup de mensonges, de l’égoïsme à la pelle, pour un portrait sans concession de millionnaires incarnant des success stories modernes à vomir. Et cela monte en puissance sur les saisons 2 et 3, qui ont lieu en Sicile puis en Thaïlande.

Une jungle cernée par la mer

Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Les personnages façonnés par White sont imbuvables, pitoyables, trop vaches, trop naïfs et vides, incroyablement vides. Antipathiques au possible pour certains, empathiques jusqu’à la nausée pour d’autres. C’est à celui qui bouffera l’autre, dans cette atmosphère faussement cossue où les coups bas se font en douce et dans le dos. Ignoble et difficile à avaler, poignant parfois, désolant toujours. Une jungle cernée par la mer, symbole du cycle inexorable de la vie et de la mort, de la nature toute-puissante.

Certains s’en sortiront, d’autres pas. Chacun.e repart de son séjour avec quelque chose en plus ou en moins, c’est selon. L’amour, le deuil, la liberté, la misère, la richesse, la sagesse, la folie, le détachement, l’inquiétude… En tout cas, les valeurs de base en ressortent ébranlées, fissurées, dynamitées. Séjourner dans un palace White Lotus, c’est à coup sûr se soumettre à une initiation qui ne dit pas son nom, mais qui sera cinglante et laissera des traces.

Profils à couteaux tirés

Et les stars d’abonder dans ce décor de rêve pour prêter leur visage à ces profils à couteaux tirés : impossible de tous les citer, les castings de chaque saison sont monumentaux. On gardera en tête Jennifer Coolidge, odieuse et touchante, Aimee Lou Wood et Walton Coggins, couple improbable et fusionnel, Jason Isaacs bourré de tranquillisants, Sam Rockwell parti en free style dans un couloir d’hôtel, Murray Bartlett en petite tenue et coquine compagnie dans son bureau, Natasha Rothwell corsetée dans ses principes…

Toutes et tous apportent leur personal touch à cette fresque déjantée, parfaite expression de l’ironie de la vie. Un équilibre délicat, une construction improbable, mais solide, où les plans de toute beauté dialoguent avec les séquences les plus scabreuses en parfaite harmonie. Comme si le retour à un paradis sublimé déchaînait la bête qui sommeille en chacun.e de nous. Tel un avertissement, le générique prend aux tripes, ponctué par une musique qui vous bouffe les méninges. Cristóbal Tapia de Veer signe là une compo unique en son genre, qui s’enroule autour de vous comme un boa constrictor et ne va pas vous lâcher les synapses de si tôt.

Incroyable contradiction

Tout comme le souvenir de ces histoires aussi sordides que magnifiques, ces instants d’héroïsme ou de lâcheté, ces éclairs de bonté, ces secondes d’orgueil. Hautement philosophique… et trompeur. Tout le monde ne percevra pas la saveur piquante de ces contes morbides. Incroyable contradiction qui reflète l’aveuglement ambiant à l’ère de l’instagrammable way of life : critique acerbe du tourisme de luxe et des privilèges des élites, The White Lotus s’est paradoxalement imposée comme une vitrine de choix pour les marques de luxe, suscitant ainsi le débat sur la cohérence entre son message et sa présentation.​

Comme l’explique le site Dans ta pub, les hôtels accueillant chaque saison ont fait le plein suite à la diffusion des épisodes, ainsi le San Domenico Palace à Taormine qui affiche désormais complet pour de longs mois. La robe Dolce & Gabbana portée par Jennifer Coolidge dans la saison 2 a vu ses recherches en ligne augmenter de 150 % après la diffusion de l’épisode correspondant. De même, des marques comme Gucci et Jacquemus ont bénéficié d’une exposition significative grâce aux tenues arborées par les acteurs.

Foutage de gueule ? Cynisme assumé ?

Bref, le placement produit dans The White Lotus a le vent en poupe, relayé avec fracas dans les magazines comme Vogue. Et que dire des produits dérivés ! Les collaborations commerciales se succèdent : ainsi, Bloomingdale’s a lancé une collection capsule de 34 pièces en partenariat avec la série, comprenant des vêtements et accessoires inspirés de son esthétique.​ On imagine les profits réalisés par les producteurs qui ont monnayé ces placements produits, ces partenariats trop nombreux pour être ici répertoriés sans tomber dans l’inventaire à la Prévert.

Pourtant, cette mise en avant du luxe a de quoi interroger, non ? Le message de la série, qui dénonce clairement les excès liés à la richesse, ce déversement de luxe presque grotesque, contredisent cette politique publicitaire intense. D’un côté, critiquer avec virulence le consumérisme et les privilèges, de l’autre, les promouvoir de la façon la plus dynamique qui soit. Contradiction ? Foutage de gueule ? Cynisme assumé ? Selon certains analystes, cette dualité refléterait le caractère paradoxal de la société contemporaine piégée entre adulation et critique du monde du luxe, dixit le Los Angeles Times.​ A moins que White, malicieux, joue la carte de l’absurde à la Ionesco, histoire de piéger même son public.

Étonnant, pour ne pas dire inquiétant. Car, à moins d’être complètement décérébré, on ressort des trois saisons de The White Lotus avec un goût particulièrement ignoble en bouche, le sentiment d’être face à une fin de règne, l’écroulement d’un monde. Et on n’a pas envie d’en faire partie, de participer à ce jeu de massacre sur fond de luxe tapageur et rance. Surtout, surtout pas.

Et plus si affinités ?

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com