Zoom ce jour sur un classique de l’humour à l’anglaise, la notable et jouissive comédie de William Douglas-Home intitulée Le Canard à l’orange. Un anatidé cuisiné pour la scène en 1967, mais qui demeure un indémodable du genre un foyer de punchlines inoubliables et un parfait portrait de pitre pince sans rire … ou de mari manipulateur. Les deux peut-être ?
Insupportable de nonchalance et d’humour
Le pitch ? Un soir, Hugh, présentateur vedette de la BBC, coince sa femme aux échecs … et en plein aveu d’adultère. En effet Liz, après des années de patience et deux enfants, s’apprête à plaquer cet époux insupportable de nonchalance et d’humour, qui collectionne les bons mots et les maîtresses d’un soir. Direction l’Italie avec l’homme qu’elle aime et qu’elle entend épouser : le richissime et très en vue John Browlow. Reste à divorcer, ce que Hugh Preston concède volontiers. Fait play et gentleman, il invite son successeur dans son cottage pour faciliter le départ des tourtereaux le dimanche ; et, bien décidé à prendre tous les torts à sa charge, il fait également venir sa secrétaire, l’aguichante et irrésistible PattyPat, pour organiser un petit flagrant délit.
Jouer de la corde sensible au bon moment
Chevaleresque, n’est-il pas ? A moins qu’il ne s’agisse d’une manœuvre particulièrement rusée pour torpiller l’idylle de Liz, la rendre folle de jalousie, au point d’abandonner ses projets ? Qui sait ? Avec Hugh Preston, rien n’est jamais sûr … sinon qu’il possède un sens évident de la dérision, qu’il excelle aux échecs et au tennis, qu’il adore les bons mots … et qu’il sait jouer de la corde sensible au bon moment, avec les bons moyens, et une analyse psychologique redoutable. Ajoutez à cela un penchant notable pour l’alcool qui ne diminue en rien ses facultés … et vous cernerez à peine ce diable de personnage, qui malgré tout adore sa Liz, en tout cas le prétend et ne veut guère la laisser partir … sans qu’elle ait bien culpabilisé.
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Anti-héros et fin renard
Sincère ? Machiavélique ? Pervers narcissique? Clown triste ? Un anti-héros en tout cas, et un fin renard qui va tout mettre en œuvre pour écarter le fâcheux et ramener son épouse au bercail. Pour jouer cette insaisissable anguille à la répartie énergique, on distingue trois grands noms du théâtre français : Jean Poiret dans la version télévisée de 1979, Michel Roux en 1993, Nicolas Briançon en 2019. Chacun plante un Hugh Preston plein de charme, roublard, dont on n’arrive jamais à déterminer si il plaisante, si il est sincère. Et pourtant, chaque prestation se singularise, par la diction, la tenue, la gestuelle, le timbre de voix … Le temps qui passe également.
Canard à l’orange 50 ans après ?
Aussi drôle soit-il, le personnage de Preston interroge qui n’autorise guère à sa femme les écarts qu’il multiplie à loisir. Question : cette mésaventure le rendra-t-il plus sage ? Cela reste à voir. Il faudrait écrire un « Canard à l’orange 50 ans après » pour faire le point sur ce couple à l’heure du #meetoo et de #balancetonporc. Liz victime d’un pervers incurable ? L’idée vaudrait le coup qu’on s’y intéresse … et qu’une femme prenne en main la mise en scène de ce marivaudage à l’anglaise et l’acide dont les répliques phares pourraient bien changer de tonalité avec cette nouvelle lecture.
Et plus si affinités
Vous pouvez trouver les différentes mises en scène de la pièce Le Canard à l’orange ici.