Quelques jours après Giotto, le mémorable solo dansé au Panthéon par Carolyn Carlson elle-même, il nous a semblé intéressant d’aller voir, d’une part, si la pièce Now, créée en 2014 à Chaillot pour sa compagnie, tenait toujours la route dans l’immense salle Jean Vilar et, de l’autre, si la danse sans sa danseuse-étoile restait bel et bien du Carlson. Réponse ci-après.
Passée de huit à sept membres (Constantine Baecher, Juha Marsalo, Isida Micani, Riccardo Meneghini, Yutaka Nakata, Sara Orselli, Sara Simeoni), la jeune troupe nous a semblé très à l’aise avec la suite ininterrompue de près d’une heure et demie de pas chassés, de portés, de glissades, d’acrobaties, de gestes pantomimiques, d’expressions du visage, soutenue par divers morceaux de guitare folk électrifiée ce qu’il faut, conçus et joués (en playback) de main de maître par René Aubry et des textes de la chorégraphe cosignés et prononcés par le comédien-danseur Juha Marsalo. Ces divagations philosophiques inspirées aussi bien par La Poétique de l’espace (1957) de Gaston Bachelard que par les écrits de John Berger et ceux de l’anthroposophe Rudolf Steiner évoquent différents thèmes : l’horizon lointain, l’instant présent (d’où le titre du ballet!), la maison, la forêt, la solitude…
Dit surtout en anglais (la partie en italien à l’entame du spectacle et certains passages en d’autres langues, dont l’hexagonale, dans le numéro de marionnettes humaines mues par un metteur en scène-ventriloque étant exceptionnelles), le texte n’est pas plus gênant que ça, dans la mesure où il accentue par moments les crescendos et les rinforzandos, en termes de décibels, de la B.O. tout en introduisant les contrepoints rythmiques nécessaires dans un collage de musique et de danse par ailleurs intimement liées. L’aspect théâtral, le décor en toile peinte se donnant comme tel, les incrustations diapos et vidéo, les boucles musicales meublent plaisamment l’espace scénique, le temps de la représentation. La lumière, d’une précision exceptionnelle, due à Patrice Besombes donne du liant à ce qui relève du disparate assumé. Les costumes, dessinés par Chrystel Zingiro, sont élégants, parfaitement coupés, dans des matières au beau tomber.
Sur un ton enjoué, quelquefois parodique ou franchement grotesque, la pièce se déroule donc avec une fluidité idéale grâce, faut-il répéter, aux interprètes donnant l’impression d’échapper à toute pesanteur. Ce, sans le besoin de révolutionner quoi que ce soit en matière de création – Carlson n’a, à cet égard, plus rien à prouver, elle qui introduisit après 68 le contemporain dans un opéra de Paris, alors, mais n’est-ce pas le cas aujourd’hui?, autosatisfait, fossilisé dans l’académique, englué dans le néoclassique. Carlson quant à elle continue par sa troupe de proposer ou plutôt composer une partition brillante, dans tous les sens du terme – laquée comme les geta d’une geisha mais savamment combinée.
Photographies : Laurent Paillier – Patrick Berger
Et plus si affinités
http://theatre-chaillot.fr/carolyn-carlson-now