Le célèbre Caligula de Camus qui révéla Gérard Philippe n’a, semble-t-il, pas pris une ride. Empereur romain tyrannique, le personnage éponyme évoque des thèmes indémodables et toujours plus actuels : l’oppression politique, la maladie mentale, la révolte ou la quête de l’absurde. La mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson nous renvoie à la première version, celle écrite en 1938 par Albert Camus.
Caligula est avant tout un personnage. Un personnage de l’Histoire, arrière petit fils d’Auguste, son existence nous est retracée par Suetone dans La vie des douze Césars. Homme politique de toutes les folies, il serait soudainement devenu tyrannique et lunatique après seulement six mois de règne. Caligula est aussi un personnage d’histoire, dont celle de Camus. Pièce écrite en 1938, de nombreuses fois retouchée, cette oeuvre sera publiée une première fois en 1945, s’inscrivant ainsi dans le cycle de l’absurde.
Caligula est une philosophie. Obsédé par la quête de l’absolu, la politique de Caligula se résume en un despotisme arbitraire. Aucune justice, son seul postulat est de se révolter contre le destin. Son constat désespérément pessimiste est le suivant : « les hommes meurent et ils ne sont pas heureux ». Constat qui l’entraine dans une spirale infernale de désintégration à outrance jusqu’à l’auto-destruction. On assiste à l’erreur la plus humainement et la plus tragiquement retranscrite.
Caligula est un visage de la folie. La psychiatrie s’est intéressée à ce personnage tant étudié et mis en scène. Successivement schizophrène, psychopathe ou maniaco-dépressif, tant d’étiquettes de maladie mentale sans poser de véritable diagnostic. Ces hypothèses diagnostics fondées sur la sémiologie des sources sont elles vraiment pertinentes ?
On peut tout d’abord relever un grand trouble de la personnalité dans ce personnage, celui de type pervers. On voit en effet une déviation de la pulsion sexuelle par sa participation aux orgies, sa relation incestueuse poussant à la transgression et à la jouissance. Le pervers ne nie pas la Loi, il l’étudie avec attention pour la transgresser et c’est dans cette dynamique qu’il éprouve sa jouissance. Ici l’ambivalence atteint son paroxysme avec un Caligula, qui mieux que connaître la loi, en est même à l’origine.
Cependant même si il est certainement intéressant de rattacher ce personnage à une spécialité médicale, l’œuvre de Camus ne s’oriente surement pas dans cette optique-là. Loin d’une thèse sur la maladie mentale, Caligula semble surtout être un visage de cette folie qui fascine et effraie. Camus écrit en 1945 « Caligula n’est pas mort, il est là, là et encore là ». Une des interprétations de l’œuvre s’orienterait vers un tableau du déséquilibre psychique. Théâtre de la violence et de la perversion, Caligula n’en demeure pas moins un homme. Nous renvoyant chacun à nos propres folies, non pas comme réalité pathologique, mais aussi comme pulsion créatrice, philosophique et ontologique.
Caligula est ce soir magnifiquement mis en scène. Stephane Olivié-Bisson, le revêt de sa dimension onirique, une esthétique poétique est au service de la tragédie qui se joue sous nos yeux. Magnifique analyse de l’enfance, dont Caligula qui n’en a pas fait le deuil, souffre de ses failles. L’époustouflant Bruno Putzulu incarne avec une grande subtilité ce personnage si difficile à comprendre. Sans atténuer l’horreur de cet homme, il l’humanise. Pari réussi, Caligula n’est réduit à rien, il n’est plus seulement un personnage historique, un fou ou un personnage de roman. Il est un homme, souffrant et faisant souffrir, tyran dans toute sa vulnérabilité. Caligula est un peu de chacun de nous.
Et plus si affinités
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