Sorry, je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler. Associer Dracula au spectacle vivant, c’est déjà une blague en soi. Mais quand, en prime, c’est le collectif La Machine qui se charge de raconter les aventures du prince des ténèbres, alors là, ça tourne carrément à la dinguerie pure. Car, s’il narre les visées maléfiques du vampire le plus célèbre de la pop culture, le spectacle Dracula-Asylum n’a rien d’une agonie, bien au contraire !
Un travail d’orfèvre dramaturgique
Objectif donc de Dracula-Asylum: relater on stage les moments les plus intenses du roman culte de Bram Stocker. Soit synthétiser les quelque 700 pages du texte initial en 1h30 de version scénique sans en perdre une once de suspense ni trahir les spécificités d’un récit fantastique fondateur, dont les astuces narratives reposent sur l’écriture du « je ». Le « je » de Jonathan Harker, qui raconte son périple transylvanien via son journal de voyage ; le « je » de Mina, sa compagne et future épouse, qui relate ses pensées dans son journal intime. Sans compter les lettres, messages des différents héros de cette geste terrifiante… qui constituent la trame d’une histoire tellement incroyable qu’il faut le témoignage presque à chaud de ces protagonistes pétris de modernité londonienne pour rendre crédible l’existence d’un noble hongrois mort-vivant assoiffé de sang, de pouvoir et de destruction.
Déjà, le défi est de taille. Ajoutons-y un handicap supplémentaire. Produire un spectacle raisonnablement effrayant pour coller à l’atmosphère du roman de base, suffisamment chaotique pour en refléter la folie croissante (si Dracula veut investir l’Angleterre, c’est pour y semer l’apocalypse, pas des marguerites), assez dynamique et drôle pour capter l’attention d’un public de tout âge, avec juste ce qu’il faut de tension, d’ironie et de démence. Un travail d’orfèvre dramaturgique en somme, que Félicien Chauveau, papa de la compagnie, et ses petits camarades, accomplissent avec un talent incontestable doublé d’une jubilation quasi démoniaque. Et un sens prononcé du contexte, de la mise en scène, du jeu… et des nouvelles technologies.
Vampires 5.0 et résurrection du Grand Guignol
Dans un éclairage verdâtre digne des pires films d’horreur, nous voyons donc Dracula himself sortir de son cercueil pour nous raconter sa propre histoire. Une version édulcorée ? Que nenni. Manipulateur, toxique, dévorateur, ce Monsieur Loyal tout droit sorti des enfers joue les maîtres de cérémonie avec délectation, tirant les ficelles de ses victimes comme de son public. Sous ses yeux et les nôtres, Jonathan, Mina, Renfield, Van Helsing et son assistant vont progressivement s’engluer dans une toile d’araignée mentale tendue au fond de leurs cerveaux (Baudelaire, sors de ce corps !) et de cet institut où Helsing soigne/torture ses patients avec l’aide d’une intelligence artificielle baptisée Lucy. Écrans et algorithmes, ces vampires 5.0 qui nous bouffent la vie, sont bien présents, au cœur de cette non action, permettant au gré d’une connexion bancale, aux personnages de monologuer quand ils croient échanger.
Communication trompeuse, dont Dracula profite, s’immisçant dans les ambitions, les doutes, les peurs, les frustrations livrées avec candeur par chaque protagoniste, dont on capte l’anxiété grandissante en face cam. Effet garanti, monstrueux à l’œuvre (projet Blair Witch, sors de ce corps !). Frénétique, la mise en scène pose un cadre steampunk que les amateurs apprécieront (la référence aux Penny Dreadful également). On soulignera l’ingéniosité du dispositif scénique, ainsi que le jeu particulièrement énergique des acteurs (big up à Sarah Vernette, possédée jusqu’à la moelle, du très grand art !). Le tout évoque les temps bénis du Grand Guignol, ici ramené à la vie de manière magistrale, pour notre plus grand plaisir, et l’édification de spectateurs qui n’ont pas forcément lu le texte initial, mais ont de grandes chances d’en dévorer les chapitres après avoir vu Dracula-Asylum.
Et plus si affinités
Vous pouvez regarder la pièce Dracula-Asylum sur la plateforme Opsis TV.
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