Je suis Dreyfus dans l’affaire : Alfred et Lucie, ensemble face à la haine

The Artchemists Je Suis Dreyfus Dans Laffaire

Il y a 130 ans, un jeune et brillant capitaine de l’armée française était convié à un rendez-vous au ministère de la Guerre. Il n’en sortit que pour être incarcéré, jugé à huis clos par un tribunal militaire, condamné à la déportation en Guyane après avoir été dégradé. Son crime : haute trahison. Son nom : Dreyfus. Cette affaire allait diviser la France des années durant. On en connaît les temps forts, le contexte, les retombées, nombres d’ouvrages, de documentaires, de films en attestent, le célébrissime « J’Accuse » de Zola étudié dans tous les lycées de France. Mais qu’en fut-il de Dreyfus lui-même ? De sa femme ? De leurs proches ? La pièce Je suis Dreyfus dans l’affaire explore la face intime de cette tragédie qui fut celle d’un homme avant tout.

Deux êtres qui s’aiment

Une tragédie mise en mots par Nathalie Ganem qui s’appuie sur la correspondance d’Alfred et Lucie pour y saisir leurs émotions, leurs réactions face au sort qui les frappe. Alfred injustement accusé, prenant conscience progressivement que ce qu’on lui reproche vraiment, c’est d’être juif, exposant lettre après lettre le calvaire qu’on lui fait subir, continuant de clamer son innocence malgré les brimades, les pressions, la menace. Lucie, impuissante, rongée d’angoisse pour son mari qu’elle adore et qu’elle sent s’étioler à des milliers de kilomètres. C’est cela que donne à voir la pièce.

Un dialogue constant entre deux êtres qui s’aiment envers et contre tout, qui vont lutter côte à côte malgré la séparation, que chaque seconde d’éloignement rapproche, fusionne. Si Alfred tient physiquement, psychiquement, c’est parce qu’il y a Lucie ; si Lucie tient, c’est parce qu’elle sait que si elle s’effondre, Alfred s’effondrera également. Pourtant, chacun de son côté se voit infliger les pires épreuves. Alfred, incarcéré dans des conditions abjectes, traité comme un moins que rien, un paria, insulté, mis au secret, isolé, coupé du monde. Lucie, harcelée par les accusateurs de son mari qui tentent de la briser psychologiquement, évoquant la double vie d’Alfred, ses prétendus mensonges.

Faire face à la brutalité du sort

Il faudra énormément de courage, de ténacité, de conviction à ce couple pour ne pas craquer. Le sens de l’honneur et de la dignité, la foi commune en la justice humaine aussi. Des valeurs partagées dans un seul état d’esprit au sein d’un dialogue amoureux constant. Sur scène, deux espaces, la cellule d’Alfred, le bureau de Lucie. Thierry Simon prête son calme, sa lucidité, sa placidité même à un Dreyfus un temps sidéré par ce qui lui arrive, qui reprend le dessus pour clamer son innocence, avant tout devant sa femme, ensuite aux yeux du monde. Sarah Denys, Lucie douce, fidèle, inébranlable dans son affection et sa confiance, lui fait face, le contemplant avec tendresse et passion.

La mise en scène signée Nathalie Ganem et Xavier Giannoli donne à voir et à entendre un dialogue extrait de la surface plane des lettres pour prendre corps sous nos yeux de spectateurs, ébahis par la violence subie, la brutalité du sort et des hommes qui s’acharne, mais jamais n’abat ces deux héros aux accents romantiques, presque raciniens. Si Je suis Dreyfus dans l’affaire aborde le déroulé des événements, en explore la logique mortifère, l’expression d’un racisme rampant, puant, intolérable, c’est par les yeux de ces deux victimes principales, qui s’érigent devant l’adversité en amants de légende. À cette différence prêt que nous ne sommes pas dans un conte. Les Dreyfus ont vraiment subi ce chemin de croix.

Et si nous étions à leur place ?

Et c’est cette authenticité des ressentis, cette indignation, cette impuissance face à l’injustice flagrante de la situation qui nous touchent. En regardant la pièce, nous comprenons, et c’est cela qui est redoutable, que nous pourrions, nous aussi, être emportés par cette tourmente. Il suffit de peu, une méprise, un contexte, et c’en est fini de la quiétude, de la liberté. La question alors se pose : aurions-nous, face à pareille situation, la résistance, la ténacité d’Alfred et Lucie ? Ne serions-nous pas broyés ? Cathartique, le texte actualise le récit en nous amenant à nous identifier au couple.

Et si nous étions à leur place ? Puissance des échanges verbaux, poids des silences, intensité des regards, la pièce dépasse le devoir de mémoire pour faire ressentir la douleur de la séparation et de l’absence, la dureté de l’épreuve physique, psychique et morale, la lutte face à des institutions fragiles au mieux, corrompues au pire, face à la haine de l’Autre qui soudain s’ébroue et frappe. Je suis Dreyfus dans l’affaire, en mêlant ainsi l’intime au politique, s’enracine dans les esprits, rappelant la réalité des choses, et la nécessité absolue de demeurer vigilant face aux déviances qui autorisent pareil scandale.

Vous désirez vous abonner à Opsis TV ?

Grâce à The ARTchemists, bénéficiez de 50% de réduction Sur l’abonnement Premium 1 an !

  • Rendez-vous sur le site d’OpsisTV à la page Abonnements
  • Cliquez sur l’offre OPSIS 12 mois premium
  • Inscrivez le code ART2023 dans la case « Utiliser un code de promotion »
  • Et le tour est joué !

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com