2022 : nous célébrons les 400 ans de la naissance de Molière. Voici l’occasion d’évoquer le répertoire de notre auteur le plus illustre et les mises en scène qu’il a pu inspirer au fil du temps, ainsi Les Fourberies de Scapin que Jacques Echantillon orchestre avec la troupe de la Comédie-Française en 1971. Cette dernière a marqué les esprits par son côté résolument décalé et original, en situant l’intrigue… dans un cirque !
Scapin en tireur d’élite
Une rupture assumée avec un regard plus traditionnel, mais qui fait néanmoins tout à fait sens. Roublard, ironique, manipulateur, jamais grotesque, toujours retors, fin même quand il est sarcastique, Scapin résume à lui seul les traits de caractère du valet intelligent. Ce bad boy au grand cœur, père du Dubois des Fausses Confidences, grand-père du Figaro de Beaumarchais, hérite des facéties de son aïeul, le très napolitain Arlequin, pour les transmettre aux générations futures. Il a tout du trublion, de l’aventurier, du prestidigitateur ou du tireur d’élite tout droit sorti d’un show de Buffalo Bill.
Il est presque logique qu’il s’exprime sous le chapiteau d’un cirque, où, vêtu tel un Lucky Luke rompu au revolver, il fait mouche à chaque réplique. Les jeunes premiers deviennent quant à eux, qui un jongleur qui un acrobate, les amoureuses, qui une dresseuse de chiens qui une écuyère, les pères tyranniques des clowns et ainsi de suite… La valse des quiproquos se double de pirouettes et de cabrioles sous les trapèzes et les agrès, chaque scène devient un numéro en soi.
Film : Molière ou la vie d’un honnête homme – Ariane Mnouchkine
Molière le circassien
C’est d’autant plus savoureux que les rebondissements de Molière s’adaptent parfaitement à l’univers circassien. Le monde des acteurs et des bateleurs a toujours été mitoyen, non ? Jacques Echantillon exploite ce cousinage, n’hésitant pas à faire grimper ses interprètes dans les cintres, et quels interprètes ! Alain Pralon dans le rôle titre, André Dussolier et Bernard Alane dans celui des deux amoureux, Claire Vernet et Paule Noëlle pour les belles, Georges Audoubert et René Camoin pour les deux barbons, Francis Perrin pour Sylvestre… une belle affiche, prometteuse comme l’a prouvé le parcours de chacun par la suite.
Naviguant entre picaresque et burlesque, l’ensemble n’a pas pris une ride en dépit de ses 50 ans d’existence ; l’analogie fonctionne encore et toujours, ce petit air de folie douce, cet exercice d’adresse qu’est l’écriture comique prend ici des allures de voltige sans filet, tandis que les répliques et les situations rebondissent comme autant de tours de magie. Illusionniste, amuseur, clown, homme de scène et de piste, les multiples visages de Molière apparaissent ici tour à tour pour nous saisir, nous faire rire, nous faire frémir. Son exceptionnelle virtuosité, sa modernité n’en sont que plus flagrantes.