Théâtre du Grand Guignol : l’épouvante sur scène

The Artchemists Grand Guignol

Il fut un temps où, pour frissonner d’horreur, on n’allait pas au cinéma, mais au théâtre. A Paris, les amateurs de sensations fortes se rendaient dans une petite salle de théâtre nichée dans le quartier de Pigalle, où l’on jouait des pièces qui repoussaient les limites du macabre et du sanguinolent. Ce lieu culte, c’était le Théâtre du Grand Guignol, véritable temple de l’épouvante scénique. Entre 1897 et 1962, il a régné en maître absolu sur l’horreur théâtrale, proposant des spectacles d’une intensité rarement égalée, où le sang, la peur, et la folie prenaient littéralement vie sur scène.

Qu’est-ce que le Grand Guignol ?

Le Grand Guignol n’est pas seulement un théâtre, c’est aussi un genre à part entière. Ce théâtre parisien, fondé par Oscar Méténier en 1897 dans une petite chapelle de la rue Chaptal, se spécialise dans des pièces horrifiques, macabres, voire perverses, où la cruauté et la violence sont au cœur de l’intrigue. À une époque où les spectacles parisiens se disputent un public avide de sensations nouvelles, le Grand Guignol va se distinguer en offrant à ses spectateurs ce que personne d’autre n’osait : des scènes de terreur viscérale, des meurtres sanglants, des personnages torturés par la folie ou la vengeance.

Le concept remonte aux traditions du théâtre populaire et forain. Le terme lui-même fait référence à Guignol, une marionnette lyonnaise célèbre, utilisée pour des spectacles de satire sociale. Mais là où Guignol vise à faire rire des enfants, le Grand Guignol s’oriente vers des récits beaucoup plus sombres. Oscar Méténier, dramaturge et ancien secrétaire de police, fonde ce théâtre avec l’intention de montrer sur scène la réalité sordide des bas-fonds parisiens, mais très vite, sous la direction de Max Maurey, les pièces se tournent vers l’horreur pure et le surnaturel, attirant un mélange éclectique d’intellectuels, de curieux, et d’amateurs de sensations fortes, fascinés par les histoires de fantômes, de psychopathes et de meurtres brutaux.

Les règles du genre : terreur, cruauté et réalisme

Hautement cathartique, Le Grand Guignol suit des règles bien précises qui le distinguent du théâtre classique.

  • Tout d’abord, les intrigues sont résolument sadiques, d’une rare violence. Les personnages subissent des tortures physiques ou mentales innommables, souvent dans un contexte réaliste et morbide. Les victimes sont fréquemment des innocents, les bourreaux, des figures d’une cruauté extrême, parfois motivées par la folie, parfois par la vengeance ou la volonté de détruire.
  • Les pièces du Grand Guignol sont courtes, souvent en un seul acte, et alternent entre horreur et comédie noire pour maintenir le public en tension permanente. Cette juxtaposition de moments de légèreté et de terreur brutale suscite un effet de choc encore plus intense.
  • Le réalisme des scènes d’horreur est primordial. Pour simuler des meurtres, des éviscérations, ou des mutilations, des effets spéciaux rudimentaires mais ingénieux sont utilisés. Le sang, omniprésent sur scène, est simulé avec des mixtures soigneusement préparées ; les cris, les gémissements et les râles de douleur résonnent dans la salle exiguë, créant une atmosphère presque insoutenable.

Une expérience sensorielle totale

La mise en scène au Grand Guignol ne se contente pas d’exhiber des horreurs visuelles. C’est une expérience sensorielle complète ; le public est immergé dans un univers de peur. L’éclairage joue un rôle clé, avec des jeux d’ombre et de lumière qui accentuent les moments d’angoisse. Les décors, souvent minimalistes, mettent en valeur les scènes d’horreur qui se jouent sur le devant de la scène.

L’espace confiné du théâtre ajoute à cette ambiance oppressante. Le public, assis près de la scène, distingue chaque goutte de sang, entend chaque cri. Cette proximité avec l’action happe littéralement les spectateurs, emportés dans le cauchemar qui se déroule devant eux. Des vomissements, des évanouissements, et des cris de panique sont fréquents dans l’audience. Certaines soirées sont d’ailleurs interrompues pour secourir des spectateurs trop affectés par l’horreur.

Les pièces phares du Grand Guignol

Plusieurs pièces ont marqué l’histoire du Grand Guignol et sont devenues emblématiques du genre horrifique. Citons :

  • « Le Laboratoire des Hallucinations » (1916) de André de Lorde : Un chirurgien fou se livre à des expériences effroyables sur des patients, explorant les tréfonds de la douleur humaine. André de Lorde, connu comme « le Prince de la Terreur », est l’un des auteurs les plus prolifiques du Grand Guignol, ayant écrit de nombreuses pièces jouant sur la folie et les cauchemars éveillés.
  • « Au Téléphone » (1901) de André de Lorde et Charles Foley : Cette pièce met en scène une femme assassinée tandis qu’elle est en ligne avec son mari. L’horreur est amplifiée par l’impuissance de l’homme, qui entend les cris de sa femme sans pouvoir intervenir. C’est un chef-d’œuvre de tension psychologique.
  • « Le Baiser dans la Nuit » (1923) de Maurice Level : Une histoire où la vengeance atteint un niveau de cruauté insupportable, et où l’amour devient le prétexte à une violence inouïe. Ce genre de pièce, où l’intime se transforme en terreur, était l’une des spécialités du Grand Guignol.

Le legs du Grand Guignol

Le Grand Guignol a disparu en 1962, mais son influence se fait encore sentir aujourd’hui, notamment dans le cinéma d’horreur. Les effets de choc, les twists macabres, l’exploitation de la peur psychologique sont des éléments que l’on retrouve dans de nombreux films d’épouvante modernes. Le splatter et le gore, des sous-genres du cinéma d’horreur, doivent beaucoup au Grand Guignol, avec leurs scènes de violence extrême et de corps mutilés.

Le Grand Guignol reste une expérience théâtrale unique, un lieu où l’horreur est à la fois un spectacle et une catharsis collective. Ses pièces, aussi effrayantes qu’innovantes, ont marqué des générations de spectateurs, laissant une empreinte indélébile et beaucoup de regrets. Aujourd’hui, on ne joue guère plus ce répertoire que de manière anecdotique comme ce fut le cas pour le cinquantenaire de la fermeture du théâtre. Il y aurait pourtant beaucoup à apprendre de ces textes, de cette atmosphère. Peut-être un jour ?

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com