N’écoutez pas mesdames, Quadrille, Faisons un rêve, Désiré, Le veilleur de nuit, impossible de détailler la très longue liste des pièces de Sacha Guitry sans risquer de vous endormir d’ennui, ce qui serait un comble ! Car le répertoire de Guitry est tout sauf soporifique. Drôle, subtil, fin, racé, mordant, cynique, un brin misogyne parfois (souvent?), Guitry a largement contribué à rehausser le répertoire dramatique hexagonal jusque devant la caméra. L’homme de théâtre aujourd’hui ne parle plus aux jeunes générations. C’est pour le sortir de l’oubli que Anthéa Sogno lui consacre le magnifique et si émouvant Sacha Guitry intime.
Récit d’une femme de l’ombre
Une véritable déclaration d’amour que ce seule en scène menée de remarquable manière, qui donne la parole à une femme de l’ombre. Trois décennies durant, Fernande Choisel fut la secrétaire de Guitry. Et probablement la seule qui l’a véritablement aimé sans se voiler la face sur la complexité de ce personnage à la fois flamboyant et si fragile. Fernande a raconté ces trente années de collaboration amoureuse dans des mémoires que l’actrice Anthéa Sogno a eu l’occasion de lire. Coup de foudre immédiat, total, hypnotique et pour le texte et pour la petite secrétaire discrète mais si attachée au grand homme.
Déjà passionnée par Guitry dont elle avait eu l’occasion de jouer certaines pièces, Anthéa Sogno, par les mots si sincères, si vibrants de Fernande, met des paroles sur ses propres ressentis, fait siens les propos de la femme de l’ombre… et accouche de ce solo prenant où elle prête sa voix et sa silhouette à la fois à la petite secrétaire, au Maître dont elle seconde le travail… et aux cinq épouses dont elle observe les débordements. Ce n’est rien de dire que Guitry ne fut guère heureux en ménage, s’obstinant à séduire celles qu’il ne lui fallait pas, ignorant celle qui aurait pu être la parfaite compagne… et qui le fut, d’une certaine façon, la plus belle, la plus éclatante, puisqu’elle l’aida à accoucher de ses œuvres.
Un pan entier de la culture française
Et l’accompagna dans ses succès comme dans ses échecs, ses difficultés, ces instants tragiques de la vie où tout s’écroule. L’occasion pour le spectateur de plonger dans l’existence hors normes de Guitry, et de découvrir par contrecoup la folle prolixité du monde artistique qui l’entoure, qu’il fréquente, qu’il anime, à la fois accoucheur de talents, innovateur et mécène, amoureux du Beau sous toutes ses formes, engagé contre vents et marées pour protéger le théâtre et la créativité aux pires heures de l’Histoire, qui s’avéra ingrate quand vint l’Épuration. Il ne s’en remit jamais tout à fait, gardant au cœur une amertume qui le rongea.
C’est de cela aussi que parle Sacha Guitry intime. La prestation de l’actrice y est impressionnante, de même le travail d’adaptation du texte, la scénographie, le décor, le choix des animations, de la musique… Pendant près de deux heures de spectacle, Anthéa Sogno, presque médiumnique, convoque l’âme de Guitry, lui ouvre les bras, et nous mène dans son univers par le bout du cœur. On ressort ravi.e, conquis.e, illuminé.e, avide de parcourir les textes, de revoir les pièces, de visionner les films. Guitry laisse plus qu’une bibliographie ou un répertoire, c’est un véritable patrimoine qu’il nous lègue, un pan entier de la culture française dont Sogno nous dévoile l’éclat.
Et cela jusque dans ses derniers mots, les siens, cette conclusion prononcée après les applaudissements, pour remercier le public de sa présence, de sa curiosité, telle une sorcière bien-aimée, joyeuse d’avoir réussi son tour de nécromancienne, d’avoir pendant 109 minutes ramené le fantôme de Guitry parmi nous, bien vivant, chaud, spirituel, et si sensible.
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