Voici donc le pari dramaturgique lancé par Macha Makeïeff pour cette production de La Criée – Théâtre national de Marseille: télescoper l’hystérie intellectuelle de la comédie Les Femmes savantes et la furie libertaire des années 70, le tout sur fond de crise identitaire bourgeoise. Et le pire, c’est que ça marche, ça galope même, à un train frénétique dont témoignent ces quelques images.
Le mariage de la cadette
Rappelons l’intrigue : la maison de Chrysale est sens dessus dessous depuis que Madame, sa sœur et sa fille aînée se sont piquées de devenir savantes. Astronomie, chimie, mathématiques, poésie, arts ont remplacé cuisine, ménage, lessive et gestion du quotidien. Monsieur n’en peut plus ! Mais il craint l’ire de son épouse, du coup point d’affrontement direct et c’est en couleuvre qu’il se dérobe dès qu’elle hausse le sourcil. La crise va éclater à propos du mariage de la cadette Henriette.
Promise au très honnête et droit Clitandre par le père, Henriette est destinée par la mère au poète Trissotin. Pédant comme il se doit, Tartuffe des salons, rimailleur sans talent qui a su éblouir les dames de céans avec ses vers au rabais (preuve que ces dames n’ont pas tant de savoir que ça). Bref la crise éclate, car Henriette si elle n’est pas savante, n’en est pas moins intelligente et pleine de bon sens : elle refuse d’épouser le cuistre, préférant son bel amoureux, qui n’est autre que l’ex de son aînée Armande qui a éconduit le jeune homme par caprice de précieuse et s’en mord depuis les doigts.
Précieuses et féministes ?
Comme à son habitude, Molière accouche ici d’un scénario faussement simpliste où la course au mariage est prétexte pour mettre à jour les pires névroses. Hystériques, ces belles le sont, au point de s’entredéchirer à belles dents : mais pourquoi ? Pourquoi tant de violences domestiques ? Pourquoi cet autoritarisme aveugle, ce manque évident de logique ? Parce qu’elles sont naturellement folles en dehors du joug masculin qui les maintient dans la raison et l’obéissance depuis des lustres ? Ou parce que ce joug pèse trop lourd depuis trop longtemps ?
Avec son habituel sens de l’humour et de la démesure, Macha Makeieff souligne cette problématique en l’associant avec la vague féministe des années 70. Costumes, décors, accessoires, musique, le salon des Précieuses devient celui de bourgeoises cossues qui s’ennuient ferme dans leur cage dorée. Qu’à cela ne tienne, la cage devient laboratoire, bureau, salle de conférence, scène expérimentale tandis que Trissotin à la longue et ambivalente chevelure déverse sa poésie devant le magnétophone de l’admirative Philaminte.
Alexandrins psychédéliques
Théorème de Passolini ? La Zizanie avec Louis de Funès ? Le grand écart historique passe crème, et les alexandrins drolatiques de JB Poquelin s’accommodent fort bien des facéties psychédéliques de ces héroïnes tout droit sorties de Macadam Cowboy. Interprétation parfaite d’une troupe à l’unisson, où l’on note la prestation de Geoffroy Rondeau, implacable Trissotin, venimeux à souhait, face à Bélise, la tante érotomane, jouée avec brio par le ténor Thomas Morris.
Dans cette aventure, ce sont les personnages les plus ambigus qui s’en sortent le mieux. Et malicieusement, Makeïeff en positionnant ces deux freaks, regarde vers l’avenir, qui ferait bien d’abolir les genres pour ne conserver que la notion indivisible d’humanité. Ce que Molière, avant-gardiste et anticonformiste comme à son habitude, a pressenti avec brio, confirmant ainsi son statut de dramaturge visionnaire.
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