Le titre du double album de la chanteuse-accordéoniste Celina da Piedade, Em casa, indique à la fois le caractère intime, recueilli, mais cependant festif, de son univers, tout en faisant allusion à la Casa do Alentejo, qui a investi le palais Pais do Amaral, au style revivaliste assez osé par son éclectisme (néo-mudejar, néo-gothique, néo-rococo, néo-art nouveau), datant du 17e siècle, bâti dans le quartier lisboète de Santa Justa. La chanteuse s’y produit le mardi soir dans des conférences délivrées en anglais (du moins pour ce qu’il nous a été donné d’entendre) portant sur l’art, la tradition et l’évolution de la musique populaire du sud du Portugal, illustrées de chants et d’airs joués sur bel accordéon diatonique couleur dorée.
La jeune femme, l’ethno-musicologue qui l’interrogeait ce soir-là et les élèves venus en nombre cherchent à démontrer que le chant et la musique de l’Alentejo n’ont rien de vieillot, ni de réactionnaire, même s’ils ont été soutenus par la dictature de Salazar qui, à l’instar de tous les régimes totalitaires, préfère encourager les arts et les airs du bon vieux temps et, sauf exception (le cinéma et l’architecture, essentiellement) réprime toute velléité moderniste. La paysannerie et tout ce qui va avec a toujours été ainsi mise en avant par les dictatures fascistes, staliniennes ou maoïstes. Le regain d’intérêt pour les cultures locales et, surtout, pour la musique traditionnelle (plus personne n’ose dire folklorique, de nos jours) est, selon Celina da Piedade, venu de France et d’Irlande, donc, en somme, du mouvement panceltique apparu dans les années 70.
Le régionalisme, la défense identitaire et la volonté de « vivre au pays », le retour aux valeurs essentielles et la naissance de l’écologie politique n’étant alors plus considéré comme des causes d’un autre temps mais, au contraire, une forme d’ouverture d’esprit. La musique portugaise en général, le fado en particulier, ont alors, en même temps que le flamenco et de nombreuses expressions marginales, minoritaires extra-européennes, profité de l’engouement d’une certaine jeunesse baba-cool. Dès lors, l’industrie du disque a profité de cette manne providentielle qu’elle a exploitée sous le concept publicitaire de « fusion » en tout genre.
Le problème de la fusion est que la sauce ne prend pas toujours, d’après nous. Rien ne sert d’habiller ou de réorchestrer façon « variétés internationales » (avec les inévitables et, pour nous, dispensables, batterie, basse électrique et synthétiseur) les chants anciens, les airs à danser de diverses époques et provenances (de la mazurka à la chapelloise, en passant par le rondeau et la valse), comme on a un peu trop tendance à le faire, y compris dans le double CD de Miss da Piedade, il suffit de l’entendre pousser son agréable filet de voix au son de son instrument pour les apprécier pleinement.
Celina rend hommage à Rodrigo Leão, musicien qui a contribué au succès au-delà des frontières des groupes Madredeus et Legião, en chantant sur une des compositions de celui-ci, « Adeus ». Tous les instrumentaux et les vocaux sont joliment tournés. Notre préférence va pourtant à l’art qui s’oppose à la joie recherchée par la jeune femme et qu’elle trouve avec bonheur dans des compositions irrésistibles comme « Rebola a bola » : le fado. Paradoxalement, elle maîtrise comme personne cet art de la saudade qui est aussi le chant de la cidade.
Et plus si affinités