Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on rédige moins sur la musique en ce moment. Coup de fatigue ? Dépression pandémique ? Projets sans saveur ? Paysage musical sans aspérité dans un univers digitalisé où on vous conseille chaudement d’illustrer vos reels Insta avec les tracks qui font le plus de buzz (les autres, poubelle, alors que c’est souvent là qu’on trouve des pépites) ? Bref c’est dans ce purgatoire mélodique qu’au détour de la Soirée velu.e, je tombe sur Üghett, mon petit crush harmonique que ça fait du bien au moral et au reste.
«Euh mais Üghett, c’est pas nouveau, Padmé, ça fait trois ans minimum que ça tourne, ce bazar». Ouep, ce à quoi je répondrai que n’ayant que deux oreilles, je ne peux pas les avoir partout, que je chronique au coup de cœur et qu’en musique, le concept de nouveauté est des plus aléatoires, c’est sur la continuité qu’on juge de la qualité d’une formation… et puis, de toute façon, mon psy m’a dit d’arrêter de me justifier donc… j’en reviens à Üghett.
Une vision dépoussiérée de la ritournelle coquine
Üghett donc, soit initialement trois potes, Diane, Goulwenn et Harold, bien décidés à booster la chanson française à grands coups d’electro, de techno, de house et autres cadences, influences et humeurs, vu que nos trois loulous sont éclectiques en matière de goûts, brassant large depuis le flamenco jusqu’au jazz en passant par les Rita Mitsouko, Niagara ou Colette Renard, dont ils ont du reste repris le très avant-gardiste « Les nuits d’une demoiselle », créé au début des années 60 pour lister les métaphores les plus joviales évoquant… la masturbation féminine. Le ton est donné.
Üghett, «le nom de la chatte d’une vieille copine à nous», porte un cocktail musical volontairement non genré, composé en trouple créatif, provocateur avec élégance, humour et tact. Dixit l’EP Nectar sorti fin 2018 qui pose le socle thématique et styliste du groupe, avec une vision dépoussiérée de la ritournelle coquine à écouter d’une main tandis que l’autre se perd dans son entre-cuisses ou celui de son voisin, de sa voisine, histoire d’atteindre le « Paradis ». Ou quand Louise Labbé et Clément Marot giclent de l’école de Lyon et du pétrarquisme pour virer au queer et s’adonner à la mélodie mouillette en jouant sur les mots ?
Nourrir imaginaire, fantasmes et liberté
Les mots… rappelez-vous les premières minutes du film Le libertin. Josiane Balasko cintrée dans un corset XVIIIeme siècle, une plume dans le chignon et une perruche sur l’épaule, chantonne une ritournelle sur fond de clavecin : « On m’a dit souvent le mot, on m’a fait souvent la chose, mais entre le mot et la chose, je choisis le mot, car quand on ne fait plus la chose, on dit encore le mot ». Paroles restituées de mémoire, mais qui disent toute la puissance évocatoire du verbe quand il s’agit de faire monter les pulsions érotiques. Casanova était un spécialiste en la matière, idem pour Beaumarchais et tout le XVIIIeme siècle avec eux.
Üghett s’inscrit dans cette tradition du beau verbe érotique, qui échauffe les esprits et les imaginations plus sûrement que le visionnage de vidéos porno, dixit « Enfin je m’abandonne » que tous.toutes peuvent s’approprier. C’est que, si la figure de proue du groupe est femme et féministe (ces messieurs aussi du reste), elle prend grand soin de ne pas brider ses écrits dans une direction trop évidente : au bout du compte, ses punchlines détaillent aussi bien les nuits d’une demoiselle ou d’un monsieur, voire d’un monsieur/dame ou d’une dame/monsieur… A l’auditeur de se glisser dans cet univers pour y nourrir son imaginaire, ses fantasmes, sa liberté.
Faire frémir les corps et les consciences
« Mon ivresse reprend le dessus » dit très justement Diane dans « Effrontée » sorti avec l’été 2019. S’abandonner à la danse, au rythme, au plaisir, à l’oubli… revendications égalitaires qui prennent une signification neuve avec cette trop longue pandémie où les corps durent se distancer, les êtres s’isoler. Une nouvelle source d’inspiration pour Üghett qui s’est déjà infiltré sous couvert de grivoiserie dans le champ de la critique sociale avec «Achète-moi » et ses injonctions à la beauté absolue. « Tu es belle, tu ne peux pas vivre sans m’avoir, achète-moi ». Ou quand un cosmétique par le truchement de la pub tout terrain et de la beauty tech promet à ces dames la perfection totale, d’une voix hypnotico-algorithmique. Et là d’un coup, on est moins prompt à la gaudriole.
Un autre profil se dessine soudain, beaucoup plus incisif, le côté vagin denté d’Üghett, qui d’un coup de dent précis tranche la tête du marketing, les fausses promesses de jeunesse éternelle alimentant hypocritement le malheur quotidien des femmes étranglées par des complexes inutiles. Ce visage-là va-t-il s’affirmer à l’avenir ? On aimerait bien voir ce que ça donne quand Üghett couple la chanson grivoise et la protest song pour faire frémir les corps et les consciences. Et plus si affinités ? Il semblerait bien si j’en crois Diane, avec qui je viens d’avoir un entretien téléphonique express, histoire de valider mes infos, qu’est-ce que vous croyez, on bosse sérieusement sur The ARTchemists !
Quelque chose de dionysiaque
La dame était pressée, vu qu’elle bosse sur l’orchestration de la Soirée velu.e, mais on a quand même réussi à chiper quelques minutes à Chronos pour faire le point sur l’état d’Üghett. Ce n’était pas un luxe. Après deux ans de pandémie, le trio est devenu solo, avec Diane comme capitaine d’un esquif en route vers les terres hybrides de la danse, du théâtre et de l’écriture. La musique demeure, agrémentée de performances en devenir. Activisme culturel en milieu intellectuel désertifié après 24 mois de COVID ? On semble bien parti pour.
Si la demoiselle a troqué longue chevelure et frange pour une coupe mulet et une perruque au carré, elle ne compte pas deserter les dancefloors, envisage même d’y apporter plus d’épaisseur : c’est que les morceaux d’Üghett ont aussi fait un bout de chemin depuis leur naissance : revendiqués par la scène drag queen, ils collent parfaitement avec une faim profonde d’émancipation et de retrouvailles célébrées sur fond de sacre du printemps. Quelque chose de dionysiaque, pour sûr, et le plein de créativité en devenir, Dame Diane étant gonflée à bloc pour accoucher de projets porteurs. Wait and see !
Et plus si affinités
Pour suivre les aventures d’Üghett, consultez régulièrement son compte Instagram.