22 juillet 2011 : après avoir fait exploser une bombe dans le quartier ministériel d’Oslo, Anders Breivnik, 32 ans, se rend sur l’île d’Utøya, un camp de vacances du parti travailliste, pour y abattre les personnes présentes au cours d’un véritable safari. Résultat : 77 morts dont une majeure partie sont des adolescents, un pays traumatisé dans sa chair et sa conscience, un véritable bouleversement social, historique. En 24 heures, ce garçon surdoué fait basculer son peuple dans le cauchemar d’une violence de masse dont il ignorait tout. De ce phénomène unique, Laurent Obertone se saisit, pour produire un roman documenté particulièrement dérangeant.
Et déranger, Obertone sait faire : son premier ouvrage La France Orange mécanique sorti en janvier 2013 a embrasé les médias, en soulevant la question de l’insécurité hexagonale, entre réalité des exactions et autisme du pouvoir. Avec Utøya sorti fin 2013 et depuis remanié, l’auteur s’attaque au cas du mass murder européen le plus spectaculaire de ce siècle, avec en ligne de mire la volonté de saisir cet esprit retors : comment en arrive-t-on à assassiner froidement autant de personnes en une journée ? Car cela n’a rien d’un coup de tête. Tout fut minutieusement préparé, pensé, organisé, bien en amont, dans un véritable compte à rebours digne des attentats terroristes les plus encadrés.
Sauf que Breivnik était seul. Du moins rien n’a mis en évidence ses relations avec un groupuscule activiste fasciste. Un loup solitaire donc … cela pense comment, un loup solitaire ? Compilant les rapports de police, les interrogatoires, les témoignages des survivants du massacre et des amis et proches du tueur, Obertone recoupe ces données avec les écrits intimes de Breivnik, journal, déclarations, manifeste pour autopsier cette conscience en décomposition. Fou ? Non, ce serait trop commode, trop rassurant. Puisant dans les mythologies nordiques autant que dans les jeux vidéos et les doctrines nationalistes, Breivnik va doucement métamorphoser sa haine d’autrui en credo intolérant à l’extrême, construit et argumenté, doublé d’une distorsion de la personnalité, qui conduira à la tragédie finale.
Se glissant dans la tête de l’assassin, Obertone déroule ce discours dans ce qu’il a de plus malsain, de plus effrayant … et de plus ennuyeux. Car Breivnik comme tous les tueurs en série, n’a rien du héros magnifique qu’il voudrait être. Avouons-le, ce type est chiant, vide, il n’a rien à apporter au monde, et toute son intelligence reste creuse, inepte, inintéressante. Sa logorrhée, soporative, devient vomitive quand on la superpose au récit des meurtres, entrecoupé des rapports d’autopsie. Depuis la première ligne du roman, quand Breivnik débarque sur l’île qu’il va dévaster jusqu’au point final qui le suit en prison, ce sentiment de vide nous prend à la gorge : ce type est un 0.
Un 0 qui aurait pu être quelqu’un de bien vu sa logique, sa capacité à assimiler les savoirs, à analyser. Un 0 avec une nette tendance à l’escroquerie, à la gloriole, à l’auto-victimisation. Un 0 qui aurait pu apporter beaucoup : pourquoi a-t-il penché du côté obscur ? A cette question, le livre ne peut répondre. Qu’est-ce qui a fait basculer ce type ? A quel moment a-t-il chaviré ? Pourquoi ? Quel élément de stress ? Quel mot ? Est-ce arrivé d’un coup ? Progressivement ? On regrette que le livre n’évoque jamais le témoignage des parents, ni de la famille. Si le personnage de Breivnik en parle, il n’y a aucun contrepoint évoquant les explications de la mère, aimée/détestée, ni du père absent, encore moins de la sœur. C’est certainement la limite de l’ouvrage, que d’endosser ce « je », cette première personne certes fascinante, mais au final sans relief, pour laisser de côté les rouages qui ont enclenché cette mécanique, rouages qu’on ne peut saisir qu’avec du recul et un regard objectif, exempt d’influence politique : le regard de l’enquêteur, du scientifique.
Reste la volonté indomptable de l’individu, qu’on cerne soudain sur la dernière partie du livre, quand débutent les préparatifs de l’attentat et du massacre. Froidement, chaque stade est décrit, chaque calcul, dans une to-do list infernale, complètement sublimée par le personnage, mais qui se disloque face aux explications des enquêteurs. Un 0 donc, mais qui va complètement renverser les valeurs de son pays, de sa culture. Et dans ses propos, transmettre, légitimer la vacuité propre aux fanatiques psychopathes de tous bords, qu’ils s’appellent Charles Manson, Jim Jones ou Hitler ?
Et plus si affinités