Eric Vuillard en a fait le socle de son livre L’Ordre du jour, Romain Slocombe l’évoque dans le roman La Débâcle, Christian Duguay dans le film Hitler – La naissance du mal: les relations entre la haute société et le nazisme ne sont pas une révélation. Mais avec La vie mondaine sous le nazisme, on quitte le cadre du récit pour entrer dans l’analyse pure. Et l’exposé particulièrement fouillé de Fabrice d’Almeida ne laisse plus aucun doute sur la love story entre Hitler et ses sbires et la jet set à l’international.
Haute société et cercles d’influence
Avec un soin presque maniaque, une logique sans faille, un sens poussé de l’enquête et une plume accrocheuse, d’Almeida décortique chapitre après chapitre les différentes facettes de cette haute société allemande à l’heure nazie. Comment Hitler va-t-il pénétrer cet univers, en apprendre et en détourner les codes, afin de s’y intégrer et de conquérir le pouvoir ? Quels intérêts les membres de cette élite ont-ils à faire alliance avec les fascistes ? En quoi cela va-t-il déboucher sur un phénomène de courtisanerie d’une rare efficacité ?
Pour répondre à ces questions, l’auteur nous entraîne dans les dîners mondains, les remises de prix, les grandes premières, les soirées huppées, mais aussi sur les champs de course, au cœur des salons, des ambassades, des ministères. Explorant jusqu’aux plans de table des grands festins officiels, les listes de cadeaux d’État, les courriers adressés aux membres méritants du parti, les notes de chauffage des demeures de grands pontes du régime, il met en évidence l’existence de plusieurs cercles d’influence où se croisent représentants de la vieille aristocratie prussienne, vedettes de l’écran, capitaines d’industrie et favoris du dictateur.
Fortunes, privations et hypocrisie
On y découvre que la passion des nazis pour la chasse n’est pas un hasard mais l’appropriation d’un privilège nobiliaire ancestral, idem pour l’élevage d’étalons, un véritable sport national qui sert la politique eugénique d’Hitler. Foire Internationale de l’Automobile de Berlin en 1933, Jeux Olympiques en 1936, les grands événements se multiplient, attirant les plus grandes familles, les célébrités afin d’affirmer la modernité du IIIe Reich, de rassurer l’opinion publique internationale, de fasciner un public en demande de paillettes et d’ordre. Dans les coulisses, l’éviction des élites juives, la spoliation de leurs fortunes consolide celle des nouveaux maîtres de l’Allemagne.
Enrichi par le succès de Mein Kampf, Hitler n’est pas le seul à devenir multimillionnaire. Goering, Goebbels, Himmler, Speer… tous ses proches tirent leur épingle du jeu, et affichent leur réussite au travers de magnifiques villas, de voitures haut de gamme, de vins et d’alcool de prix, de robes haute couture, de collections d’art… Pour amasser/ confisquer ces richesses, cette junte applique des méthodes de truands, tout en privant la population allemande, soumise à un rationnement drastique de la nourriture, des vêtements, de l’énergie. Hypocrisie de caste. En 1944, tous vont fuir pour échapper à l’avancée russe, tentant ua passage de préserver un peu des richesses accumulées. Au sortir de la guerre, les milieux mondains ne seront pas épurés.
Fort heureusement, La vie mondaine sous le nazisme nous rafraîchit la mémoire de manière édifiante, en mettant en avant les mécanismes d’une mise en conformité et d’un phagocytage consenti. Ces pages remarquables décortiquent une stratégie particulièrement perverse, une logique de prise du pouvoir. « On ne pourra en avaler autant que l’on devrait vomir » écrira l’artiste Max Liebermann en 1934. ce n’est pas un hasard si cette citation introduit l’enquête d’Almeida.
