«Depuis la fin du XXe siècle, les grandes puissances impérialistes sont entrées dans une nouvelle phase de conquêtes à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de leurs frontières. Les différentes formes de misère, les inégalités socio-économiques et les révoltes populaires s’étendent et se multiplient. Dans le même temps, le contrôle, la surveillance et la répression sont devenus des marchés très profitables. Il existe des liens structurels entre ces phénomènes et les transformations des violences policières».
La domination policière – Mathieu RIGOUSTE
Elles font régulièrement la une des médias… ou pas. Et c’est bien là le problème, surtout quand les violences policières se multiplient en période de contestation, contestation tout à fait normale dans une démocratie où la pluralité des points de vue est autorisée, voire protégée : charges brutales, arrestations arbitraires, nasses, mutilations des manifestants ou de simples passants, la réalité de la revendication est aujourd’hui renseignée en direct live par le biais de téléphones portables filmant au milieu des cortèges. Le tout tourne en boucle sur Twitter, pour sidérer, choquer, outrer (éventuellement réjouir selon le positionnement politique qu’on adopte). En tout cas, cela ne laisse personne de marbre. Mais derrière ce déchaînement, ce chaos, ces blessés, ces morts, qu’y a-t-il vraiment ? Quelle stratégie, quelle volonté ?
Détournons un instant le regard de nos écrans de smartphone pour prendre du recul, mettre à distance les réaction épidermiques déclenchées, nous poser au calme et envisager la situation de manière globale. Pour ce faire, voici quelques documentaires, livres et podcasts que nous avons extraits de la masse impressionnante d’informations et d’archives qui existent sur ce sujet en apparence brûlant mais finalement récurent au fil des années qui démontrent une réalité inquiétante : les violences policières lors des manifestations ne sont pas nouvelles, pire, elles s’intensifient. Pourquoi ? Comment ? Éléments de réponse avec ces références qui ont plusieurs mérites :
- elles sont claires et bien construites
- elles sont pédagogiques sans être infantilisantes
- elles confrontent tous les points de vue
- elles connectent exemples précis et analyses pertinentes.
Documentaires
Au nom du maintien de l’ordre – Paul MOREIRA
Construit en deux parties « Reculez » et « Presque mortel », ce documentaire revient sur cinquante ans de métamorphose des modes de gestion des manifestations. Objectif : souligner, documenter et comprendre le pourquoi du comment d’une nette tendance au durcissement. Polices suréquipées, blessures graves, armes de guerre, le tournant s’opère clairement à Seattle en 1999 à l’occasion de la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce. Cette répression extrêmement dure accouche d’une radicalisation des interventions de police, généralisée à l’échelle de la planète et qui va s’intensifiant. Donnant la parole à des CRS, à des donneurs d’ordre, à des manifestants mais aussi à des chercheurs et des spécialistes du sujet, Au nom du maintien de l’ordre confronte les points de vue afin de mettre en évidence une dérive orchestrée par les pouvoirs en place, désireux d’affirmer leur suprématie via des démonstrations de force spectaculaires et meurtrières.
Un pays qui se tient sage – David DUFRESNE
Quand on évoque la question du maintien de l’ordre, un nom s’impose, celui de David Dufresne. Journaliste indépendant, auteur du roman Dernière Sommation, ce spécialiste est une véritable vigie, un phare. Observateur particulièrement précis des manifestations, il documente et analyse le comportement des policiers sur le terrain. Sorti en 2020, son film Un pays qui se tient sage revient sur la crise des Gilets jaunes. Devant sa caméra, des manifestants estropiés, des policiers, des sociologues, des philosophes, qui confrontés aux images tournées pendant les manifestations, les commentent. Il en ressort un décryptage sans concession d’un bras de fer d’une brutalité absolue et d’une stratégie politique qui érige la violence d’État comme marqueur de force et de légitimité.
Livres
Maintien de l’ordre – David DUFRESNE
Je vous disais il y a quelques lignes que c’est un expert en la matière, la preuve avec Maintien de l’ordre. Dans ces lignes étayées d’exemples, de documents officiels, Dufresne décortique le fonctionnement des forces de police impliquées dans la gestion de l’ordre à la française, sur les trente dernières années. Bac, R.G., CRS vidéastes, le journaliste s’attarde sur le recrutement, la formation, la méthode, et c’est aussi instructif que sidérant. Il évoque par ailleurs la chronologie d’une mutation largement propulsée par le passage de Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Mutation qui vise à évacuer la contestation de la rue, à la rendre invisible par la peur et la brutalité ? Plusieurs interludes évoquant des bavures majeures, des dysfonctionnements aberrants permettent de souligner les failles de cette méthodologie qui joue avec le feu au propre comme au figuré.
Sociologie de la police – Fabien JOBARD & Jacques DE MAILLARD
Si cette étude n’est pas entièrement consacrée à la question des violences policières durant les manifestations, Sociologie de la police a le mérite de replacer ce sujet dans un ensemble plus vaste qui interroge le rôle de la police dans sa globalité. En détaillant la création de la police, son rôle et son évolution au fil du temps, les auteurs interrogent l’histoire d’un ancrage social mais aussi d’une interaction avec le corps judiciaire et politique. C’est tout l’intérêt de voir comment progressivement le pouvoir instrumentalise la police, en fait son bras armé, afin de défendre des intérêts qui ne sont pas forcément ceux du peuple.
La domination policière – Une violence industrielle – Mathieu RIGOUSTE
C’est un incontournable quand on évoque ce sujet. Avec La domination policière, Mathieu RIGOUSTE évoque la question du maintien de l’ordre dans les banlieues. Un héritage du système colonial qui ne dit pas son nom mais qui s’avère évident au fil des pages de ce remarquable exposé. Extrêmement documenté, illustré annoté, cet ouvrage daté de 2012, depuis régulièrement mis à jour, fait autorité… et peur. Car on comprend en le parcourant que les cités ont servi de laboratoire à la mise en place d’une méthode de répression qui désormais s’exprime dans les manifestations, donc dans un climat de revendication et de défense de nos droits.
À qui la rue ? Répression policière et mouvements sociaux – Ouvrage collectif sous la direction de Francis DUPUIS-DERI
Avec cet ouvrage collectif quebecquois, il s’agit d’interroger une logique de répression qui tend à s’intensifier depuis le 11 septembre 2001. Criminalisation, pénalisation, mensonges policiers, la contestation sociale est progressivement repoussée dans l’enclave du délit alors qu’elle est initialement un droit, conquis de haute lutte et inscrit dans moult constitutions. Ce recueil offre une multiplicité d’approches pertinentes, qui édifie le lecteur sur une véritable stratégie de démantèlement des contestations. On y traite par exemple la question de l’infiltration des mouvements contestataires par des agents provocateurs, la neutralisation des mouvements anarchistes, le fichage des manifestants. Cette vision très complète ne laisse aucun doute sur la politique de dirigeants, tous pays confondus, désireux de détricoter par la force l’accès à la contestation dans la rue. On notera par ailleurs le mode de communication adopté pour justifier ce durcissement, en réponse à une violence qui a été visiblement, sinon orchestrée, du moins encouragée.
Podcasts
La manif est à nous – Adila Bennedjaï-Zou et Anabelle Brouard
Parmi la pléthore de podcasts consacrés au sujet, La manif est à nous se singularise car elle aborde le sujet sous l’angle des manifestants. Ce chapitre de l’émission LSD disponible sur France Culture, se compose de quatre épisodes : « Gênes 2001, manifester tue », « Un siècle de manifestations », « La Manif pour Tous, la rue est à nous », « Demain l’émeute ? ». Collectant analyses, points de vue, témoignages, archives sonores, Adila Bennedjaï-Zou y traite de l’histoire de la manifestation, du besoin de revendication et de la nécessité d’exprimer cette revndiquer aux vues de tous dans la rue, espace public par excellence. Cette approche est mise en regard avec l’évolution des modes de gestion de l’ordre public par la police. Le choc est saisissant qui permet de prendre conscience du traumatisme vécu par les manifestants agressés. Le questionnement de la liberté d’expression, du droit à manifester est limpide, leur remise en cause évidente.