Produite par la chaîne câblée Paramount Network, la mini-série Waco a été écrite par les frères Dowdle. Au cœur de leur démarche, la volonté de comprendre ce qui s’est réellement passé durant les cinquante-et-un jours de siège qui opposèrent David Koresh et ses davidiens aux forces du FBI. Ce bras de fer se termina dans le gigantesque incendie qui ravagea le complexe, sans que personne puisse intervenir.
On n’avait pas vécu aussi brutal depuis la guerre de Sécession
Ce fait divers survenu en 1993 a captivé les médias du monde entier. Tout commence par une fusillade particulièrement violente et meurtrière (presque deux heures d’échange de tirs, on n’avait pas vécu aussi brutal depuis la guerre de Sécession) entre les membres de la secte retranchés dans leur ferme et les forces de l’ATF venues perquisitionner pour découvrir des caches d’armes automatiques trafiquées. Suivront cinquante jours de négociations, de pressions, de menaces pour déloger Koresh et ses adeptes.
Sans succès. Le 19 avril 1993, le FBI lance l’assaut, balançant du gaz lacrymogène en différents points du complexe afin d’en extraire les habitants par la force. La structure va prendre feu presque instantanément, se transformant en torche. Il faudra une semaine pour enfin retourner les décombres et découvrir les corps de quatre-vingt-deux personnes carbonisées, dont vingt-et-un enfants, et les restes de Koresh, visiblement abattu d’une balle dans la tête par son second qui s‘est suicidé dans la foulée.
Une vision un peu trop angélique
Un fiasco donc, suivi en direct via les écrans de télé par une population médusée. Et une infinité de questions : à qui la faute ? Qui a tiré en premier ce jour de perquisition ? Qui a mis le feu aux bâtiments ? Et en filigrane, cette interrogation : ces davidiens étaient-ils si dangereux ? En voulant les priver de leurs armes, les autorités n’ont-elles finalement pas agressé ces gens qui cherchaient juste à vivre leur foi, tranquillement, en autarcie ? C’est là justement que les six épisodes de Waco touchent une limite.
Et pas de la manière la plus subtile qui soit. Très bien réalisés d’un point de vue narratif, ils ont un peu tendance à présenter les davidiens sous un œil angélique et les membres du FBI comme des bourrins sans cervelle, qui foncent avant de dialoguer. Construit sur les récits contradictoires des différents survivants de cette tragédie, anciens membres de la secte, négociateurs, policiers, le scénario a effectivement tendance à jouer la carte du manichéisme, revêtant Koresh, fiévreusement interprété par Taylor Kitsch, d’une aura d’illuminé.
Un gourou à la Jim Jones
Dans l’absolu, pourquoi pas ? Sauf que le visionnage de la série alimente son lot de théories complotistes, de réactions indignées, de dénonciation du gouvernement et j’en passe, positionnant Koresh comme une sorte d’anti-héros… ce que ce triste individu n’était pas, bien au contraire, et il convient de le rappeler énergiquement. Ayant pris la direction des davidiens après avoir séduit leur leader, une femme âgée, puis écarté son fils au terme d’une fusillade (eh oui, déjà), Koresh tenait ses troupes d’une main de fer, les soumettant à des interdits sexuels et alimentaires dignes du Moyen Âge.
Se réservant les femmes qui lui plaisaient pour reproduire sa propre lignée de prophètes et d’enfants divins, couchant avec des mineures parfois très jeunes (12 ans), cassant les couples, il imposait à ses adeptes des prêches parfois longs de quinze heures sans possibilités de pause ou de sommeil, s’octroyait tous les droits en tant que nouveau Christ. Un gourou à la Jim Jones donc, qui en plus, reprenait en boucle l’idée d’une fin du monde imminente, que seuls les élus pourraient affronter le flingue à la main, en s’opposant aux babyloniens, représentant l’extérieur corrompu et maléfique.
Une véritable poudrière
Sans compter des adeptes complètement téléguidés, surentraînés au maniement des armes, y compris les enfants déscolarisés, dotés d’un arsenal bien fourni. Bref, une poudrière de plus à gérer, en pleine administration Clinton, où les groupes anti-gouvernementaux fleurissaient comme champignons sous la pluie. De cela, la série traite à peine, abordant uniquement la crise de Ruby Ridge, alors que le problème de l’extrême droite ultra-religieuse était vraiment central à l’époque et un souci énorme pour les autorités.
La série par ailleurs édulcore l’ambiance qui régnait dans la secte elle-même, que relatent d’anciens adeptes qui ont préféré fuir avant la catastrophe, notamment ceux qui ont refusé la séparation des couples, un jour imposé par un Koresh désireux d’appliquer la parole divine que lui insufflait son Créateur. Des fidèles complètement sous influence d’un côté, de l’autre un gourou dont le passé est flou. Là aussi, il aurait fallu mettre de l’ordre. Également préciser les combats en interne pour la direction des services du FBI, la menace sur l’ATF qui risquait d’être démantelé. Bref, il y en a des manques, qui justifient pleinement d’aller se renseigner ailleurs pour avoir une vision plus juste des choses.
Une blessure dans les mémoires américaines
Si les récits en français ne sont pas légion, on dispose de plusieurs documentaires américains relativement précis qui échappent à la dérive complotiste. Witness to Waco, Truth and lies : Waco, Waco : The inside story proposent une approche sérieuse, mesurée, objective, avec une prise de recul, une analyse pointue des profils psychologiques, des forces en place, bref de quoi compenser les lacunes de la série TV. Il faut croire du reste que la chaîne en avait conscience, puisque Paramount Network, en parallèle de Waco, a développé six petits documentaires, Revelations of Waco, dans lesquels elle évoque les points litigieux du scénario. Cela pose question : en effet, Waco demeure une véritable blessure dans les mémoires américaines, qui touche à la liberté de culte (qui ne fonctionne pas là-bas comme chez nous) et au droit de posséder des armes.
Il faut impérativement intégrer ces particularités culturelles si on veut aborder l’affaire Waco avec un regard plus clair, et sans partir tête baissée dans l’émotionnel. Et ne pas oublier, ce qui n’est nullement spécifié dans la série, que ce drame va en engendrer un autre : l’attentat d’Oklahoma City sera orchestré en réponse à l’incendie de Waco par un Timothy McVeigh très secoué par ce qu’il avait vu (il s’était même rendu à Mont Carmel pour voir ce qu’il s’y passait). Alors que le débat sur la vente d’armes n’en finit plus de faire rage aux USA, où les groupuscules d’extrême droite pullulent, le fiasco de Waco doit rester dans les mémoires, comme une des pires dérives en la matière. Si cette secte ne s’était pas armée comme elle l’a fait, si elle n’avait pas mis en avant ses idéaux apocalyptiques, rien ne serait arrivé. Ce qui interdit toute licence poétique, toute liberté avec la vérité. Et doit impérativement être médité.